Maryse Juranville, Présidente d’Esprit de Service France présente cet entrepreneur hors pairs qu’est Serge Trigano.
S.Trigano a gravit tous les échelons du Club Med : de G.O. à chef de village dans les années 1970, il est directeur des opérations monde en 1980, puis nommé CEO pour les États-Unis. En 5 ans, il double la taille du Club et introduit la filiale américaine du groupe en bourse. En 1986, rappelé au siège, il est nommé DGA du groupe et entreprend la conquête du marché européen. En 1993, il remplace son père à la présidence du groupe pour finir par le quitter en 1997, suite à un désaccord avec la famille Agnelli qui en a repris la direction.
Après plusieurs expériences et collaboration (Cap Gemini, la Caisse d’Epargne, le groupe Partouche …), c’est en 2008 qu’il invente avec ses deux fils, le concept du premier hôtel lifstyle : Le Mama Shelter. 16 hôtels sont ainsi créés dans le monde. Les parts de la famille Trigano seront vendues en 2021 au groupe Accord.
En 2022, Serge Trigano se rapproche du groupe Korian pour imaginer avec son fils Jérémie un lieu de vie convivial pour les séniors. La première résidence Casa Barbara a ouvert ses portes durant l’été 2022 à Levallois et une deuxième résidence devrait voir le jour en 2023 à Nice.
Serge Trigano est un infatigable entrepreneur.
Il publie son dernier livre « Trigano loves you », un livre biographique ou il raconte son grand père propriétaire de camping, l’aventure Club Med et celle de Mama Shelter …
Sur sa vision et son intime convication, il cite une anecdote éclairante. Son père a reçu un jour un message du secrétariat du Pape : Jean-Paul II souhaite le rencontrer. Croyant en un canular, il est relancé prestement 15 jours plus tard. Renseignements pris, le Pape a effectivement un coach, anciennement G.O. au Club et il souhaite vraiment le rencontrer.
Il lui pose une question « Monsieur Trigano, parlez-moi un peu de votre métier avec ce Club Méditerranée ? ». Gilbert Trigano lui répond « sa Sainteté, cela consiste à réunir des hommes et des femmes du monde entier dans les plus beaux endroits et d’essayer de leur apporter du bonheur ». Le Pape sourit et lui répond : « alors Monsieur Trigano, nous faisons le même métier ! ».
Et S.Trigano de conclure visiblement ému : tout est dit. « Apporter du bonheur aux gens est la marque de fabrique de la famille Trigano, c’est ce que nous avons essayé de faire à l’époque du Club Med et avec l’histoire de Mama Shelter. »
Charles Henri Besseyres des Horts souligne la résilience dont il a fallu faire preuve : se reconstruire, aller de l’avant …
Pour S.Trigano, le Club ne fut pas un métier, mais sa vie. Né peut avant la création de l’entreprise, il y a passé une grande partie de son existence et pensait que cela durerait jusqu’à sa propre disparition !
Il évoque une époque sans business plan, sans process ; une époque où son père visitait naturellement les chefs d’états des pays où il prévoyait d’installer un village. Quand les quelques sites étaient sélectionnés, il lui suffisait de tremper ses pieds dans l’eau pour « sentir » l’endroit … Et les investisseurs suivaient ! C’était une époque où l’intuition prévalait et les contrats se signaient en bout de table, à la fin d’un déjeuner…
Lorsqu’il fut débarqué en en 1997, le moment fut violent, comme toutes les fins des belles histoires. Le Club tourne la page Trigano et le téléphone ne sonne plus.
Les débuts de Mama Sheler sont d’autant plus difficiles que les investisseurs, autrefois fidèles, ne sont pas au rendez-vous…Sauf la Caisse d’Épargne, qui finance le premier hôtel à Paris.
Comment a débuté cette nouvelle aventure ?
D’abord bercé par l’idée de refaire un village de vacances, il constate que le monde change en ce début de millénaire. La manière de consommer les vacances, la recrudescence des divorces, la Méditerranée devenue un « endroit compliqué », même le soleil est perçu comme synonyme de cancer… Tout avait changé !
L’idée nouvelle était donc d’investir les territoires des villes, désormais faciles d’accès par le train. L’hôtel devenait ainsi une destination en soit, un « lieu de vie et d’ailleurs », un « bar avec des chambres au-dessus »…
« Bar ET restaurant » souligne CH Besseyres Des Horts, rappelant ainsi la vision de S.Trigano d’associer restaurant et hôtellerie.
L’intention était donc de créer un lieu diffèrent, ou les gens avaient la possibilité « de passer une soirée, un week-end, écouter un concert, danser ou jouer au babyfoot. » Philippe Stark y ajoutera sa touche design et les deux fils de S.Trigano, leur touche de modernité.
S. Trigano résume ainsi sa vision personnelle de l’expérience client : créer un lieu où les gens se sentent bien, offrir « un univers différent (…) ou nous essayons d’anticiper les envies des gens » et une expérience particulière. Les parties communes, les lieux de réceptions, les installations sportives ont ainsi toujours eu plus d’importance que les chambres » (dans ses premières années, les villages Club Med implantés dans des lieux idylliques, offraient des hébergements spartiates).
Le principe était ensuite d’embaucher des jeunes gens qui « avaient envie de faire partie du spectacle ».
L’engagement collaborateurs étant un élément clé de la réussite, le sentiment d’appartenance est impératif. Si les collaborateurs sont heureux de recevoir, heureux de s’occuper des clients, fiers « d’une entreprise qui leur raconte une histoire », cela fait toute la différence. Ainsi, les collaborateurs recrutés sont ceux qui pensent que l’expérience proposée « peut être une ouverture, une école de vie ». Ce qui est vécu est au-delà d’une expérience hôtelière. Ce fut particulièrement vrai par le passé au Club Med et au Mama Shelter, la promotion interne reste de mise. Cela contribue au fait que les collaborateurs se sentent complètement investis dans l’entreprise ; donc plus fidélisés dans un secteur particulièrement touché par le turn-over.
Serge Trigano évoque son nouveau projet avec Korian : la création de résidences pour seniors.
Une première a vu le jour à Levallois, une seconde sera créée sous peu à Nice.
Ces résidences sont destinées aux seniors autonomes. Le principe est d’adapter le savoir-faire développé au Club Med et à Mama Shelter et de proposer des lieux de vie, bien éloigné d’une maison de retraite classique et encore plus d’un EPHAD.
Une attention particulière est ainsi apportée à plusieurs niveaux : une ambiance créée par une décoratrice d’intérieure ; une restauration conçue par un grand cuisinier français, Pierre Gagnaire, une salle de sport et une de cinéma…
S. Trigano souligne : « L’idée est de faire marcher son corps, sa tête et son cœur » et de « casser la solitude », lorsque les gens perdent le conjoin d’une vie. Un concept bien différent de ce qui est proposé par les grands acteurs du secteur et qu’il s’agit d’expliquer.
Tout cela repose sur la notion de Service, notion qui n’est pas toujours très présente dans la culture Française. Pour S.Trigano, elle est souvent vécue ici comme expérience avilissante et humiliante, contrairement à des pays, comme le Maroc, la Tunisie ou encore l’Île Maurice.
C’est impératif : les collaborateurs qui participent à tout ces projets doivent aimer servir ! On peut organiser des formations pour améliorer le geste, mais si le terrain n’est pas propice, cela reste peine perdue…
En guise de conclusion, CH Besseyres Des Horts l’interroge : à la lumière de son expérience, qu’est-ce qu’un bon leader ? Quel conseil donner à l’heure du digital, de la transition climatique ?
Pour S. Trigano, chacun a sa propre idée et sa propre vision d’un bon leader. Toutes les écoles existent. Il confie manager par la gentillesse ; un management qui n’est pas « la panacée » et qui ne fonctionne pas si on est seul. L’important est donc d’apprendre à savoir s’entourer de meilleurs que soit.
L’important, c’est aussi et enfin d’avoir des valeurs et un souhait : celui de faire avancer l’entreprise.
Esprit de Service France – Septembre 2023