Régine Vanheems est Docteure en Sciences de Gestion, Professeure agrégée des Universités. Elle a co-fondé l’Observatoire du Commerce Connecté, dirige le laboratoire de recherche « Commerce connecté » et ses publications ont été plébiscitées aux Etats-Unis et en France. Régine est également la fondatrice de la Société Handel Conseil et travaille conjointement avec Communication Qualité. Elle a un portefeuille d’activités riche au sein de l’Université de Lyon 3 : conseil, formation, conférences, dans les domaines du marketing, du commerce et de la distribution.
Quinze ans de visites mystères et d’entretiens menés auprès de vendeurs en B to B, B to C et B to B to C, ont permis à Régine Vanheems de mettre en évidence que la vie des commerciaux change et ce changement ne va pas sans douleur…
Quelle peut être la cause de cette douleur ? Un questionnement s’impose : « Les techniques de vente traditionnelles ne dégraderaient-elles pas la performance commerciale ? »
Régine Vanheems constate depuis 20 ans la multiplication des points de contact et des canaux de distribution. Historiquement, la force de vente œuvrait dans un magasin puis s’est ajouté un site internet marchand progressivement complété par une prolifération de nouveaux canaux : blog, courriel, click to chat, click to call.
Le phénomène s’est amplifié durant la crise du Covid. Régine Vanheems cite en exemple Optic 2000 qui, pour accéder à ses clients d’une autre manière, a décidé de les rencontrer chez eux et Décathlon qui a développé et installé des petits points de vente chez Auchan ; et organisé le retour du camion de vente – en version marketé et connecté…
Quel est l’impact de cette prolifération, et de « l’omnicanal», sur l’expérience client ?
On aurait pu espérer que cela fasse le bonheur des clients : « je peux acheter d’où je veux, quand je veux, comme je veux ». Mais dans la réalité, on constate plutôt une montée des insatisfactions qui deviennent source d’incivilités et d’agressivité.
Plusieurs éléments nous permettent de comprendre ce constat dont les principaux sont la divergence d’information, l’effet ping-pong et la voix dans le désert.
La divergence d’informations : c’est lorsqu’un client, ayant effectué ses premières recherches sur internet, récolte des informations non cohérentes auprès du vendeur rencontré sur le lieu physique de vente : effet catastrophique sur le client.
Une des explications possibles est que le commercial qui ne va pas sur le site web dédié à la vente ignore son contenu alors que le client ne connait que cela. Un vendeur myope face à un client éclairé : l’affaire est mal engagée.
L’ « effet ping-pong » peut trouver une illustration dans la téléphonie après être allé sur le site web le client se déplace en boutique où le vendeur l’invite à contacter le service client ou à se connecter au site … C’est la « dilution de la responsabilité » : effet désespérant pour le client.
La voix dans le désert : c’est le sentiment de ne pas être écouté. Le client est ainsi obligé de réexpliquer sa problématique à chaque relation avec un nouveau point de contact. À défaut d’un CRM efficient, le client a le sentiment de perdre du temps….
Pour Régine Vanheems ce qu’il faut retenir, c’est que le consommateur a le sentiment d’être incompris. Nos comportements de clients (car nous sommes tous consommateurs) ont plus changé en vingt ans qu’en vingt siècles et peu de commerciaux intègrent la psychologie des consommateurs qui débutent leurs parcours d’achat en ligne.
Et lorsqu’il prend son téléphone pour contacter un vendeur, le client s’irrite et reste insatisfait face à un discours désormais inadapté. Cela reflète le paradoxe de l’omnicanal : nous avons cru que cela génèrerait plus de liberté dans l’acte d’achat, mais cela génère en fait des émotions négatives chez le client.
Pourquoi un certain nombre de choses se sont-elles donc mal passées ?
Premièrement, le client n’a jamais autant travaillé.
Dès 2003 / 2004, certaines banques vantaient la possibilité offerte aux clients, d’effectuer leurs opérations directement depuis chez eux … effectuant ainsi eux-mêmes le travail précédemment réalisé au guichet. Renforcée par le Covid, cette approche a mis le client « en solitude et en individualité ». Un problème ? Essayons de trouver sur le site un n° de téléphone : il n’y en a pas. Et s’il existe, c’est bien souvent un robot qui prend en charge le client, voire, dans le meilleur des cas, un humain … qui lui répond sur la base d’un script !
Or, le client a bien souvent tout essayé par lui-même avant de téléphoner. Un chat-Bot, un script ne répondent donc en rien à ses attentes …
On incite le client à l’autonomie, mais en fait d’autonomie, celui-ci est entré en solitude.
Deuxièmement le contact humain est le grand oublié.
En effet, si l’omnicanal est désormais incontournable, force est de constater que l’ « humain » est le grand oublié de ces 20 dernières années.
De nombreuses études illustrent pourtant l’importance de l’ « humain » pour le client dans son expérience d’achat.
D’où l’importance d’organiser au sein du parcours le « contact humain » qui « génère du souvenir » – la trace mémorielle étant le socle de la fidélité.
Là aussi, il s’agit donc de tout réinventer.
Troisièmement les méthodes de ventes sont dépassées.
Les clients sont donc en demande de relation humaine. Pourtant, le vendeur exaspère, irrite, énerve … Pourquoi ?
Pour Régine Vanheems la réponse est assez simple : il utilise des techniques de vente obsolètes, bien antérieures à l’arrivée d’internet, qui ne fonctionnent plus dans la majorité des cas.
Une grande partie du parcours d’achat étant de plus en plus effectuée sur le web (recherche d’informations, sélection d’un produit, connaissance d’un produit …), le vendeur intervient bien plus tardivement dans le processus. S’il en reste aux techniques de ventes traditionnelles, il a toutes les chances d’irriter le client.
Le vendeur d’aujourd’hui doit donc savoir identifier le chemin parcouru par le client et savoir comment l’accompagner, physiquement et virtuellement, sur le chemin qui lui reste à parcourir.
Et cette adaptation nécessaire s’applique à l’ensemble du métier.
En termes de prospection par exemple, les techniques anciennes apparaissent désormais comme intrusives. La prospection d’aujourd’hui consiste à dire : c’est le client qui achète et ce n’est plus le vendeur qui vend, donc le vendeur va se mettre à disposition du client. Il doit être présent partout, visible, facilement joignable et expert.
Autre point, celui de la posture. Celle du vendeur doit changer. On ne peut plus se contenter de « pousser » un produit, il s’agit aujourd’hui d’accompagner le client dans un parcours de vie – une posture de « co-contruction » où « l’objectif est de travailler ensemble » à sa satisfaction.
Nous sommes dans un monde qui bouge. Dans ce monde, le vendeur, le téléconseiller, le commercial, se doit d’être lui-même « omnicanal ». Pour R.V. c’est un « passe-muraille » qui passe d’un canal à l’autre. Elle site ainsi une expérimentation mise en place dans un magasin Darty où les vendeurs bénéficient d’un jour de télétravail hebdomadaire pour répondre aux questions posées sur les réseaux sociaux. Le client se rendant en magasin par la suite se rend compte que le vendeur est celui qui lui a répondu. Un lien de proximité qui enthousiasme le client tout en valorisant le vendeur qui se sent reconnu.
Enfin, faut-il réinventer les rituels de ventes ? Continuer à faire de la vente en face à face ou en côte à côte ? Tout cela fonctionne, mais dans des situations de ventes précises qui doivent être décryptées. La prospection d’aujourd’hui consiste à dire : c’est le client qui achète, ce n’est plus le vendeur qui vend. Donc le vendeur va se mettre à la disposition du client.
On observe aussi de nombreuses entreprises qui ont digitalisé leur force de vente en les équipant de nombreux outils – « vendeurs / commerciaux augmentés » – avec plus ou moins de bonheur : une serveuse qui prend commande sur une tablette regrette de « perdre le regard » de son client, les vendeurs à la Fnac, connaissant bien leur matériel, sont par contre plus efficaces …
Il faut réinventer le métier de vendeur et chaque aspect est important. Dans ce cadre, R.V. souligne l’importance du lien social, de redonner de la chair à l’interaction physique, car c’est elle qui crée du souvenir. L’émotion est également primordiale : le comportement du consommateur n’est pas rationnel mais émotionnel, et les émotions naissent du contact humain et pas de l’échange avec un robot !
Et si, demain, la formation des meilleurs vendeurs consistait à réapprendre à décrypter les émotions ?
Esprit de Service France – Octobre 2023