Les médias mettent régulièrement en lumière les talents des cuisiniers, ceux des pâtissiers … Rarement ceux des personnes qui exercent le service en salle. Il est pourtant l’un des éléments essentiels dans un restaurant. Le service en salle crée l’accueil, l’ambiance d’un lieu, il porte l’attention au client. C’est un métier qui repose sur l’excellence de service.
Jean-Marie Ancher a terminé sa longue carrière en tant que Directeur du célèbre restaurant « Le Taillevent », qui a longtemps eu 3 étoiles au guide Michelin.
Il publie un livre « Éloge du service en salle » co-écrit avec Valérie Vrinat, petite fille du fondateur du célèbre restaurant et fille de Jean-Claude Vrinat qui aura marqué l’histoire de la haute gastronomie française.
Et comme le dit Guy Savoy dans son introduction, ce livre est « l’histoire des commis, serveurs, maîtres d’hôtel, sommeliers, directeurs de restaurants qui sont un relai indispensable entre la cuisine et les convives. C’est l’histoire d’un maillon essentiel ».
Jean-Marie Ancher a eu la gentillesse d’intervenir ce 24 mars 2023, lors de l’assemblée générale d’Esprit de Service France. Il nous offre le témoignage riche et éclairant d’une époque, une vie professionnelle au service de l’Excellence de Service.
Ce n’était pourtant pas son premier choix. Deuxième d’une famille modeste de six enfants, Jean-Marie Ancher se voulait professeur de mathématiques à 15 ans. Considérant ses piètres notes en français, un conseiller d’orientation lui propose un CAP mécanique … Ce sera non, marquant ainsi la fin de sa carrière d’écolier.
Il faut donc travailler. Pourquoi pas la restauration ? Justement, un voisin ouvre un établissement à Tours. Il quitte donc sa région parisienne pour cette première expérience …qui ne durera pas plus de cinq mois, le « patron » prenant quelques libertés avec sa comptabilité. Qu’importe, c’est une première expérience. Il y en aura une deuxième, dans sa région natale, avec un patron qui lui, prend quelques libertés avec les déclarations Assedic – une expérience de quatre mois !
Sur l’injonction de son père, qui lui demande de trouver un restaurant « qui ne ferme pas », il « monte » à Paris. Et c’est tout à fait par hasard, par l’entremise d’un bureau de placement, qu’il intègre l’équipe du Taillevent, en ignorant totalement la réputation du restaurant et ce qu’on attendait de lui.
Il s’en rendra vite compte. Il y rencontre des « Messieurs » dit-il respectueusement, ses « pères professionnels » qui lui apprenne à « savoir parler, savoir s’habiller, savoir se tenir ».
Il débute en tant que commis, un poste qui a en charge la jonction entre la salle et la cuisine.
Il y apprend beaucoup. Il devance cependant son service militaire et lors d’une permission, son chef de rang lui demande de revenir ses obligations remplies. Il remet donc son projet de départ pour l’Angleterre et réintègre donc l’équipe…en tant que commis.
Il ronge quelque peu son frein, mais il y apprend tous les fondamentaux d’un métier qu’il exercera tout au long de ses 43 ans de carrière.
Commis, serveur, chef de rang, assistant maître d’hôtel, maître d’hôtel …. Jean-Marie Ancher gravit petit à petit tous les échelons de l’établissement pour en finir directeur.
De son métier, il dit « Servir est un état d’esprit, c’est le sens de la mesure : il faut être présent sans être gênant, être affable sans être bavard, être souriant sans être exubérant ».
Toute une attitude, tout un rôle à tenir … D’autant plus qu’il compare le décor d’un restaurant à celui d’un théâtre ; une pièce où chacun a son rôle et dont on offre deux représentations par jour. Et à chaque représentation, « on connait les réservations, mais on ne sait jamais ce qu’il va se passer ! ». Alors on s’y prépare comme un comédien le ferait. Avant chaque « représentation / service », Jean-Marie Ancher Directeur, se réserve vingt minutes pour lui, à relire les réservations et vérifier si « le décor » est prêt, avant les trois coups…
Un décor qui, pour l’anecdote, aura inspiré en son temps quelques scènes du « Grand restaurant » – film de 1966 co-écrit par Louis de Funès et réalisé par Jacques Besnard.
Jean-Marie Ancher aura lui-même l’occasion bien plus tard de doubler dans sa version originale, le rôle du maître d’hôtel de « Ratatouille », suite à une visite dans l’établissement des équipes Pixar.
Être Directeur d’un restaurant tel que Le Taillevent, c’est « manager à deux niveaux : le personnel et les clients ».
Proche de son personnel, Jean-Marie Ancher ne manque jamais de les saluer chaque matin, une attention qui lui vaut le respect, élément qu’il considère indispensable dans sa fonction. Le respect, il l’obtient aussi par sa profonde connaissance du lieu et de son organisation à tous les échelons. Son parcours d’autodidacte lui permet de voir les erreurs et manquements bien avant qu’ils n’adviennent. Difficile de le prendre au dépourvu !
Sur cet apprentissage et l’humilité qu’il considère comme nécessaire pour exercer ce métier de service, il a une idée : lorsque l’activité le permet, il place un commis en double avec un chef de rang pour qu’il découvre le poste … Et c’est le chef de rang qui redevient commis ! Les dents grincent, mais le système fonctionne et favorise la promotion interne.
Proche des clients aussi… mais pas trop. « Il faut savoir dire non ». C’est tout un exercice quand une sommité politique vous demande une table, ou plutôt l’exige, et que celle-ci est déjà réservée. Ce sera non, même si le haut personnage « boudera » le restaurant pendant deux ans. Il y a des règles dans la maison et on ne transige pas.
Et si on transige, c’est pour une belle rencontre. Comme celle de cette petite fille américaine atteinte d’un cancer qui « est venue voir la Tour Eiffel, accompagnée de ces parents ». Une maladie avancée qui laisse peu d’espoir. Alors on sort le « grand jeu » : visite privée des cuisines (avec remise de toque par le grand chef), triples rations de dessert au chocolat et cavalcade dans la cour ! On ne transige pas non plus avec ça…
« Le monde change » constate Jean-Marie Ancher, conscient d’avoir vécu une époque. Aujourd’hui à la retraite, il a quand même vécu l’arrivée de ces fameux PDA en salle pour les prises de commande. Qu’en pense-t-il ? Oui, c’est vrai qu’on perd un contact avec le client mais, note-t-il en directeur et gestionnaire avisé, « cela a vraiment amélioré la coordination entre la salle et les cuisines. On y a gagné une demie heure à chaque service ! ».
Un jour, il fut temps de quitter le théâtre pour la dernière fois. Alors, tous les fidèles clients se sont réunis, ils n’ont pas voulu rater ça. Et c’est une standing ovation de 15 minutes qui cueille un Jean-Marie Ancher surpris, gêné, touché.
Décoré de l’Ordre National du Mérite, Jean-Marie Ancher n’en a pas fini avec l’excellence de service. Ce livre et la création de l’association Jean-Claude Vrinat en atteste. Il intervient souvent et apporte son témoignage, comme ce jour devant nous, mais aussi auprès des jeunes qui se forment aux métiers de bouche et dont certains bénéficient d’une aide allouée par l’association. Et il leur dit ceci : « Tu ne vas pas être serveur, tu vas être « au service de » et ce n’est pas la même chose ». Message reçu, Monsieur.
Esprit de Service France – Juin 2023