Le 11 septembre 2019, Esprit de service France a eu le plaisir de convier ses membres à la convention « Art et Service », un événement innovant et totalement inédit.
Le thème de cette Convention, organisé avec Communication-Qualité à l’ESCP Europe, était la découverte de ponts entre les Arts et l’Esprit de service. Des artistes nous ont ainsi fait vivre et partager des expériences radicalement nouvelles lors d’ateliers : Régis Descott, écrivain, Nathalie Pachis-Valat, photographe, Alexandre Poussin, Réalisateur, Lina Martin Calvo, peintre, Elian Ramanon Jisod, pianiste, Béatrice Bissara, sculpteur.
Ces travaux ont été précédés par la conférence de Christine Cayol intitulée « la beauté du Geste ».
A l’origine de nombreux projets culturels franco-chinois, Christine Cayol nous invite au voyage et au détour pour revenir à l’esprit de service.
Puisque parler, c’est préciser, elle évoque la Maison des Arts de Pékin, qu’elle a fondée.
C’est un lieu d’accueil au service des artistes en résidence pour 3 ou 4 mois, qui se mettent eux-mêmes au service d’une certaine vision du monde et de la beauté.
Observons la création d’Adam de Michel Ange : la courte distance qui sépare la main de Dieu de celle d’Adam est celle que l’artiste met entre lui et le monde.
Il interpelle le monde à travers des gestes.
L’art n’est pas une fusion avec le monde comme le service n’est pas une fusion avec le client.
Il n’est pas non plus totalement maîtrisable. Quelle est la bonne distance ? Quel est le bon tempo ?
En Chine, dans les jardins publics, on voit des passants réaliser d’éphémères calligraphies, rigoureusement dessinées, avec de l’eau. Celui qui fait ce geste superbe, précis, technique, sait qu’il sera effacé presque aussitôt accompli. Il habite son geste. Celui-ci n’a de sens que pour lui.
Après une période utilitariste, on apprécie de nouveau en Chine la beauté du geste comme témoin d’un art de vivre. Par exemple, la cérémonie du thé retrouve une belle esthétique. Elle s’est beaucoup sophistiquée sans pour autant s’enfermer dans les codes, comme au Japon.
Le service en Chine est d’abord un climat que l’on ressent instantanément. Le climat n’est pas déterminé par des gestes ou des attitudes. C’est une esthétique qui se travaille et se transmet comme un art de « se sentir bien ». La mémoire des gestes, des sensations bonnes, des paroles gentilles est le fondement de cette esthétique.
En Chine, le service est d’abord un rituel . Un rituel dont la portée est cosmique, dépassant largement les relations interpersonnelles de ceux qui le vivent, conformément à la pensée confucéenne.
Si je ne m’inscris pas dans un rituel, je suis incapable de participer à une civilisation car je n’ai rien à partager. Le rituel est par essence collectif : je me lie à ma famille, mon clan, mes descendants, mon pays.
Dans le Festin nocturne de Han ( l’équivalent en notoriété artistique pour les Chinois de la Joconde en Occident), on comprend comment le service appartient à un rituel collectif où l’effort intellectuel n’a pas sa place.
Le geste des protagonistes traduit leur rapport au monde et leur rapport à l’autre. Dans le Festin nocturne, ils sont fondus, entièrement dénués d’agressivité ou de contentement de soi.
En occident, le rapport à l’autre se construit souvent sur la confrontation, de jalousie, de mimétisme, la concurrence. Depuis Caïn et Abel.
En Chine, on ne perçoit pas l’autre comme m’enlevant quelque chose. Dans ce contexte apaisant, mon travail est d’harmoniser, surtout pas de juger au risque d’accentuer la disharmonie générale.
On sent le cosmos en observant, écoutant, ressentant et en étant pétri d’espérance . Le service est une participation au cosmos. Il exige une attention à la fois précise et constante, comme celle qui émane d’ un tableau de Chardin.
Les jeunes Chinois apprennent la Chine à travers des proverbes (cette pratique a été caricaturée par Hergé dans Tintin et le Lotus bleu…) .
Ces proverbes sont des outils pour observer le monde de façon inédite et décalée. Ils émergent de la mémoire. Ils incitent à prendre du recul. Ils suscitent des rapprochements inédits.
La mémoire des gestes, des proverbes, des paroles gentilles, des situations bonnes, est le réservoir de l’esprit de service. L’utiliser est un acte créateur, qui me fait sentir contributeur de l’harmonie du monde. Ce qui donne un sens profond à mon action.
En occident, comme héritiers d’une culture très individualiste, il nous faut sortir par l’esprit de service de la culture du conflit.
La beauté du geste, comme la mémoire des situations bonnes, est créatrice d’harmonie.
La vision cosmique du service revient à penser que l’on est au monde pour améliorer l’harmonie du monde et nos descendants.
Quand un Chinois est satisfait de son travail, il dit que ses arrières petits-enfants en profiteront. L’Occidental ne songe pas à eux car il travaille pour lui-même. Sauf l’artiste, qui se projette sur le monde et arrive à trouver la bonne distance entre le monde et lui par son acte créateur.
Lorsqu’on exprime spontanément l’esprit de service, on crée un climat d’harmonie dans lequel mon interlocuteur et moi peuvent se projeter. On invente une liaison nouvelle, un beau geste. On est donc créateur comme l’est un artiste dans son rapport au monde.
Les ateliers qui ont suivi, par la discussion avec des artistes maîtrisant des domaines très différents, ont permis de bien identifier les ponts entre l’esprit de service et l’acte créateur de l’artiste.
De toutes les expériences partagées avec eux, il est ressorti des similitudes troublantes entre leur acte créateur, la vision chinoise du cosmos et la diffusion de l’esprit de service dans les relations humaines.
Un premier élément fort : les interprétations sur les interprétations de l’artiste dans sa projection sur le monde variaient considérablement d’un participant à l’autre. De même, les artistes n’imaginaient pas la variété des impressions créées par leurs œuvres qui souvent les surprenaient.
Lorsque l’artiste observe, il ne voit pas la même chose que nous et peu d’entre nous ont la même interprétation de son œuvre. Aucune n’est meilleure que l’autre. De même, l’esprit de service se centre sur l’interlocuteur, pour explorer ses richesses, sans idée préconçue ni jugement . Il le laisse se découvrir, il l’écoute, il est intéressé par ce qu’il apprend.
Deuxième ligne de force : dans la création artistique, ce qui rend universelle l’expression de l’artiste, c’est une empathie profonde avec le monde, que chacun ressent différemment, mais qui nous unifie.
L’artiste invente un geste juste, qui n’appartient qu’à lui mais qui parle à chacun. Son histoire personnelle, sa mémoire des émotions et des évènements, ses expériences intimes sont le terreau de son inspiration. Il les partage en les transformant par la création artistique.
De même, l’esprit de service suscite une profonde empathie avec l’interlocuteur. Il utilise la mémoire des émotions et les expériences vécues ( dans un tout autre contexte) pour créer de l’exceptionnel dans une relation éphémère. C’est l’équivalent pour l’artiste (et pour les Chinois) de la beauté du geste, créatrice d’harmonie et d’unité.
Il existe un lien intrinsèque entre la démarche artistique et l’esprit de service, en cela qu’ils reposent sur les mêmes fondements : observer, écouter, ressentir, partager.
Olivier Haertig pour Esprit de service France – Septembre 2019
Retrouvez l’intégralité de la conférence de Christine Cayol « la beauté du Geste » :