L’engagement : comment le générer, l’alimenter, le faire vivre ?
Accueilli à la Maison de la RATP, sur l’invitation de Tootbus Groupe RATP, Esprit de Service France réunissait le 24 janvier 2025 trois experts du domaine associatif et de l’entreprise pour échanger sur une thématique clé : l’engagement. Bertrand Colas, Directeur Fédéral Adjoint de la FFBA ; Coralie Beaupied, Responsable du Département Marketing Stratégique de la Croix-Rouge Française et Michel Py, Directeur du Programme Paris 2024 chez BPCE ; tous trois ont partagé leur vision et leur expérience sur les différentes manières de mobiliser et de fidéliser les « engagés », qu’ils soient bénévoles ou collaborateurs.
La rencontre, animée par Agnès BAILLOT secrétaire générale de l’association et déléguée Expérience Clients chez GRDF, a permis de mettre en lumière les leviers d’adhésion, les dynamiques de mobilisation et les nouvelles attentes en matière d’engagement, dans un monde en constante évolution.
Créer et nourrir l’engagement : une question de sens et de structuration
« L’engagement ne se décrète pas, il se construit. » C’est par ces mots que Bertrand Colas introduit la discussion. Pour la Fédération des Banques Alimentaires, qui s’appuie sur plus de 7500 bénévoles et 650 salariés, l’enjeu est majeur : faire en sorte que ceux qui donnent de leur temps trouvent un sens à leur action et restent investis dans la durée. Un objectif d’autant plus difficile à tenir que les bénévoles FFBA sont des « travailleurs de l’ombre », œuvrant « loin de la lumière » et de la reconnaissance qui va avec. L’attachement aux valeurs et à une cause que l’on sert est donc essentiel, mais ne suffit pas à garantir un engagement pérenne. Il doit s’accompagner d’une stratégie claire et d’actions concrètes.
La FFBA a mis en place un modèle fondé sur trois piliers :
- L’engagement doit être aligné avec les valeurs de la structure, et garantir la qualité et la pérennité du recrutement des nouveaux engagés : c’est en effet souvent par cooptation, par le bouche-à-oreille qu’un nouveau bénévole s’engage.
- À cela, doit s’ajouter une vision stratégique à long terme – sur 3 à 5 ans – pour permettre de fédérer un collectif.
- Et enfin, les actions sont essentielles et cruciales à la mise en mouvement et l’ancrage de l’engagement. C’est par des événements marquants et rassembleurs, comme la collecte nationale (qui mobilise chaque année120 000 bénévoles) ou le Salon de l’Agriculture, qu’on entretient la dynamique et que l’on rappelle à chacun le sens de son action et de son rôle au sein de la structure. Bertrand Colas évoque à ce propos l’importance de « rites fédérateurs ».
Coralie Beaupied, de la Croix-Rouge Française, souligne quant à elle l’évolution des formes d’engagement. Avec 70 000 bénévoles et 18 000 salariés sur 1000 implantations en France, l’association doit s’adapter à de nouvelles attentes : là où la démarche s’inscrivait autrefois sur le long terme, les bénévoles sont aujourd’hui en recherche de formes d’engagement plus ponctuelles et plus flexibles. Pour répondre à ces nouvelles aspirations, la Croix-Rouge a développé des missions courtes et accessibles à distance, permettant à chacun de faire un premier pas et de contribuer selon ses disponibilités. « L’aventure du bénévolat, cela peut commencer dans sa propre rue » souligne Coralie Beaupied.
Pourquoi s’engage-t-on ? Pour elle, les motivations sont multiples : répondre au besoin de lien social, se sentir utile, rencontrer des personnes partageant les mêmes valeurs, ou encore bénéficier du prestige d’un uniforme qui incarne un engagement reconnu… Il n’y a pas de mauvaises raisons pour passer à l’action et face à ces réalités, les associations doivent innover pour attirer de nouveaux profils et fidéliser leurs bénévoles.
Engagement associatif et engagement en entreprise : entre logiques distinctes et défis communs
Pour Michel Py du groupe BPCE, l’expérience est quelque peu différente, bien que présentant certaines similitudes.
En charge du programme Paris 2024, il a piloté au sein de la direction communication du groupe la mobilisation de 1 000 volontaires internes pour les Jeux Olympiques et Paralympiques. La démarche a suscité un véritable engouement en interne et la sélection s’est faite au prorata des entreprises du groupe, des métiers représentés et dans une totale parité.
Il souligne le constat suivant : outre la motivation personnelle, cet engagement doit être structuré, animé et régulièrement stimulé. Le Groupe BPCE a ainsi conçu un plan d’accompagnement avec un événement de lancement, des rendez-vous réguliers interactifs et une communication continue via un canal dédié. Ce dispositif, permettant de maintenir une grande implication des volontaires dans la durée, n’est pas sans rappeler l’importance du rite collectif mis en avant par Bertrand Colas.
À la Croix-Rouge comme aux Banques Alimentaires, l’un des défis majeurs réside dans la gestion des bénévoles. Contrairement aux salariés, les bénévoles ne sont pas liés par un contrat. Sans repères législatifs, le management des relations humaines est d’autant plus complexe. La fidélisation, comme la gestion d’éventuels conflits reposent donc uniquement sur la qualité des relations humaines ?
Coralie Beaupied insiste aussi sur les formations des bénévoles au sein de la Croix-Rouge. Celles-ci sont parfois obligatoires, notamment dans le secourisme ou l’action sociale. La structure y investit beaucoup : on découvre ainsi le sens de l’action et de l’engagement, on y rencontre les bénévoles et on y crée des liens.
L’entreprise, elle, doit créer du sens au-delà de la seule relation contractuelle. Comme l’explique Michel Py, l’expérience des volontaires BPCE dans le cadre de Paris 2024 a eu un impact positif sur leur engagement global dans l’entreprise, en renforçant leur attachement et leur fierté d’appartenance. Un levier pour fidéliser les talents…
Les nouvelles technologies au service de l’engagement ?
L’essor du numérique et de l’intelligence artificielle transforme la manière dont on s’engage et dont les organisations interagissent avec leurs bénévoles et collaborateurs. Pour Michel Py, ces outils ne sont pas une finalité mais bien un moyen de renforcer les liens et d’améliorer la réactivité des organisations.
La Croix-Rouge a par exemple développé des plateformes permettant aux bénévoles de s’engager à distance, ouvrant ainsi le champ des possibles pour ceux qui souhaitent contribuer sans oser aller postuler physiquement dans une antenne. Mais Coralie Beaupied le rappelle : si la technologie facilite l’accès à l’engagement, elle ne remplacera jamais l’interaction humaine, fondatrice du rôle du bénévole et essentielle dans la mission collective de la structure.
Les Banques Alimentaires ont, elles, fait le choix d’intégrer l’IA dans leurs outils de fonctionnement à grande échelle, notamment pour optimiser la logistique et la gestion des dons. La FFBA travaille avec quelque 6000 associations et c’est un levier d’efficacité absolument nécessaire aujourd’hui. Et là aussi, l’intégration de l’IA ne peut se faire au détriment du lien humain, socle fondamental de l’engagement bénévole absolument nécessaire aujourd’hui.
L’engagement, une dynamique en constante évolution
Qu’il soit associatif ou professionnel, l’engagement repose sur des fondamentaux communs : la nécessité d’un projet porteur de sens, une structuration et une stratégie claire et des actions concrètes pour l’entretenir.
Toutefois, les contextes sont différents. L’engagement en association repose à la base sur une motivation intrinsèque et personnelle qu’il convient d’intégrer dans un projet collectif. L’engagement en entreprise lui, doit être construit, entretenu et encouragé à travers des dispositifs, des rites adaptés.
Existe-t-il des clés de succès ? Évoquons celles-ci : offrir une vision, donner du sens et créer du lien. Bertrand Colas illustre cette idée en reprenant une citation souvent attribuée à Saint Exupéry : lorsqu’on demande à trois maçons en quoi consiste leur métier, le premier répond qu’il pose des pierres, le second qu’il érige un mur, le dernier qu’il construit une cathédrale…. La perception personnelle d’un projet dans son ensemble transforme l’implication individuelle en engagement collectif.
Dans un monde en mutation, les organisations doivent sans cesse s’adapter aux évolutions sociétales et technologiques tout en préservant ce qui fait l’essence même de l’engagement : la volonté d’agir ensemble pour un objectif commun.
Philippe Faure – Esprit de Service France