La crise sanitaire a rappelé combien l’attitude managériale était prépondérante. Les managers sortent, globalement, enrichis de la crise car plus conscients de la nécessité de mettre en œuvre, à distance comme en présentiel, ces qualités que sont l’écoute, la disponibilité, l’attention à l’autre, l’exigence de donner du sens. Un management de proximité semble aujourd’hui plus que jamais requis.
Cette nouvelle attestation de ce que « l’ère du service, c’est l’ère de la relation » illustre les propos du PDG d’Accor, Sébastien Bazin, tenus en fin de congrès. Le dirigeant du groupe hôtelier exprimait en cloture sa volonté de développer une « industrie chaude », faite de rencontres, à l’opposé du « monde froid » façonné par le e-commerce.
Dans la plupart des entreprises représentées dans les tables-rondes, il fut relevé que ces enseignements de la crise sanitaire n’ont pas encore été tirés en termes d’orientations managériales. Le regain d’importance de ces « nouvelles » attitudes n’a pas été formalisé (dans les évaluations annuelles, les fiches de postes, les contenus de formation…). Ceci étant dit, il y a sans doute une raison à cela, ont fait remarquer des participants : la figure du « manager coach », facilitateur, servant leader, donc au service de son équipe, était déjà promue avant la crise. Sa pertinence n’a été que confirmée par celle-ci. Toutefois, dans l’une des entreprises représentées (à une table), ces nouvelles attitudes, décelées, se sont déjà traduites dans les actes : la people review a été modifiée en conséquence.
Mais il y a loin de la parole aux actes. Si tous les présents semblent s’accorder sur l’importance de promouvoir un manager au service de son équipe, coach, nombre de personnes notent que, dans leurs propres entreprises, ceux qui sont promus à des postes de responsabilité ne sont pas toujours ceux qui l’incarnent le mieux.
Aline le Scouarnec le relevait déjà dans son propos introductif : « Il y a parfois une dissonance entre les pratiques et les discours ». Dans les transformations, disait-elle en substance, il y a beaucoup de communication et de marketing, d’autopromotion du dirigeant, voire du DRH. Ce qui faisait conclure à Nandini Colin : « derrière la communication, ce qui compte c’est ce qu’on fait ».
De fait, une difficulté mentionnée par les participants de l’une des tables est que le manager est parfois lui-même d’abord au service de ses intérêts. D’un côté il doit gérer une multitude de « moi je » dans son équipe, de personnes n’ayant pas les mêmes envies ou motivations, ce qui lui rend la tâche difficile pour créer un véritable collectif. D’un autre côté, il est lui parfois lui-même une figure éminente de ce « moi je » qu’il critique par ailleurs. D’ailleurs, a-t-il été souligné, les managers qui parviennent au très haut niveau ont la plupart du temps été davantage au service de leur carrière que de leurs équipes. A cet égard, ils semblent ne pas être du tout exemplaires par rapport aux qualités mises en avant dans l’étude Esprit de service France 2021.
C’est pourquoi des participants ont proposé de compléter les 9 figures managériales présentées dans les scénarios de l’étude, par deux autres :
• Le manager imposteur, qui est d’abord à son propre service, qui surcommunique et provoque un écart important entre son discours et ses actes.
• Le manager algorithmique, qui à terme remplace les humains (à l’image de ce qu’a annoncé Ray Dalio chez Bridgewater) et est un supercalculateur « froid » gavé de données statistiques récoltées sur l’environnement de marché et les salariés.
Le problème, ancien, est donc que l’on passe manager souvent pour des raisons d’évolution de carrière. Or un salarié performant ou bon expert ne dispose pas nécessairement des qualités requises pour le management d’équipe. Pour avoir de bons managers, rappellent des participants, il faudrait se rendre enfin capable de proposer aux experts des parcours spécifiques d’évolution de carrière qui ne passent pas forcément par la case manager. Certains expriment même l’idée selon laquelle les capacités managériales seraient en grand partie innées, même si bien sûr la formation reste nécessaire pour les développer
Les congressistes présents à l’une des tables de cette session 11 expriment le fait que les analyses résultant de l’étude menée en 2021 par Esprit de Service France leur donne l’impression que le bon manager est un mouton à 5 pattes… Est-ce bien raisonnable ?
Plus généralement, un participant s’interroge sur l’usage qui est fait du mot « management », considérant que c’est quand on se dit « je fais du management » qu’alors on n’est pas bon.
La crise a révélé le vrai visage des managers. Pour le meilleur comme pour le pire. Certains se sont ainsi montrés plus qu’à la hauteur là où on ne les attendait pas, d’autres ont déçu alors que leur comportement en présentiel incitait à miser sur eux. Ces périodes de travail en mode dégradé, à distance, ont eu un effet loupe.
Les participants n’ont globalement pas trouvé que les collectifs avaient été impactés par les longues périodes de management à distance. C’est plutôt le contraire qui semble s’être produit.
Thibaud Brière, philosophe d’entreprise pour esprit de Service France – juillet 2021